Comodoro Rivadavia, danse avec le Poulpe


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Toute la famille Silva nous a accompagnés au bus. Il est 22h00 et nous partons pour Comodoro Rivadavia, quelques centaines de kilomètres plus au Nord.
Nous avons réussi à réserver deux places à l’étage, au premier rang, avec vue sur la route.
Quelques ultimes photos, quelques dernières bises envolées et nous démarrons, le cœur un peu gros de laisser derrière nous cette famille généreuse, en particulier Gabriel auquel nous avons promis de faire visiter le Louvre lorsqu’il viendra en France, un jour…
Cela m’évoque notre départ de Madrid avec Zingaro lorsque Manuel, notre pote serveur de la guinguette, nous disait les larmes aux yeux « Vous, vous partez, mais nous, nous restons …». Il aurait tant aimé nous suivre.

L'œil était dans la cage et me regardait…
Comodoro Rivadavia a pour nous une histoire. C’est la ville choisie à l’époque par Catherine pour y situer une partie de l’intrigue de son roman La Pampa à la pudeur, dans la série Le  Poulpe.
En ces temps reculés d’avant Internet, c’est dans un Atlas qu’elle avait trouvé ce nom exotique et évocateur, sans savoir ce que cette ville recelait réellement.
Aujourd’hui, c’est un pèlerinage en hommage à ce second roman, jusque là non publié, que nous avons décidé d’y mettre le pied. Un détour sur notre chemin vers Perito Moreno (la ville, pas le glacier, n’est-ce pas ?) mais une belle route rouge et jaune sur notre plan (les meilleures).
Nous sommes prévenus, tant par le web que par Juan-Carlos, c’est une ville sans intérêt dont l’activité toute entière gravite autour de la production pétrolière. Nous arrivons à 9h00 du matin après une nuit des plus inconfortables, heureux de retrouver l’Atlantique, même si la côte aride n’invite pas à la baignade. La steppe est parsemée de pompes automatiques aux allures d’oiseaux métalliques picorant inlassablement le même point. Elles en extraient mollement la richesse cachée dans le sous-sol de cette terre pas si ingrate finalement.
Nous traversons des banlieues grises qui ne dépareillent guère de Rio Gallegos et nous retrouvons, crevés, à la gare de bus près du centre ville.
Renonçant à repartir tout de suite comme nous l’avions envisagé, nous achetons un billet pour une correspondance vers Perito Moreno le lendemain matin à 5h30 du mat, les choix commencent à ressembler à peau de chagrin. Il ne nous reste plus qu’à trouver un hôtel pas trop éloigné et si possible équipé de la wifi. Nous décidons d’aller en direction de l’océan.

Version n° 1 : Alfred.
Lesté de mes sacs, je commence à contourner le bâtiment et me dirige vers l’avenue qui descend. Je me retourne pour vérifier que Catherine me suit : personne. J’attends un peu puis, ne voyant rien venir, je fais demi-tour. Pas de Catherine. Je me dirige vers les toilettes afin de l’attendre, pensant qu’elle s’y trouve, je laisse passer un temps raisonnable puis demande à la dame pipi : elle m’assure qu’elle ne l’a pas vue. Je fais le tour de la gare, dedans, dehors et toujours rien. Damned, Catherine a disparu !
La meilleure des choses à faire à mes yeux est de ne rien faire et rester sur place, à l’endroit où nous nous sommes vus pour la dernière fois.
J’attends.
Plus d’une demi heure passe et je n’arrive pas à imaginer ce qu’elle a pu penser. Nous savons tous les deux que les mauvaises nuits nous rendent irascibles mais rien ce matin ne justifie un quelconque clash et elle n’est pas du genre à faire des caprices.
Le seul moyen de communiquer reste Internet. Je me dis qu’il serait peut-être judicieux de lui envoyer un mail lui indiquant où je me trouve et qu’elle pourrait lire en allant dans n’importe quel cyber-café. À la gare de bus, j’avais  détecté un réseau wifi verrouillé émis depuis le minuscule snack-bar. Le gérant m’en a déjà refusé l’accès mais j’y retourne en insistant. J’expose la situation à ce grand gaillard et il m’explique que son réseau ne sert que pour son circuit interne de vidéo surveillance. Il tient pourtant à me rassurer en me disant que personne n’a jamais disparu ici et il me promet de surveiller un éventuel retour de Catherine pendant que je vais  envoyer mon mail depuis un bar du coin.
Je m’échappe quelques minutes, ne trouve aucun message de ma Chérie et reviens à la gare. Toujours pas de nouvelle.
À mon retour, le gérant du snack décide de prendre les choses en main. Il faut alerter la police. Je vais pour l’arrêter puis me souviens de la raison de notre présence ici : un polar, un Poulpe, une enquête. Souriant au clin d’œil de la Vie, je laisse faire. C’est d’abord le garde de sécurité de la gare qui commence à me demander de décrire Catherine : vêtements, allure générale et tout et tout. Je lui rappelle humblement qu’il a juste oublié de me demander son nom… Le fin limier part en chasse autour de la gare, sur le parking, partout où je suis déjà allé : chou blanc.
Veine ! voici que déboule une patrouille de police à pied. Nouvel interrogatoire, nouvelles explications, alerte par radio. Le sergent, une blonde fatiguée d’une quarantaine d’années, en profite pour se lamenter sur ses conditions de travail et de salaire en me montrant ses rangers éculées. Je sens bien qu’elle est un peu interloquée par mon sourire et ma bonne humeur, inconvenantes dans ces conditions dramatiques. Le temps passe et elle est sur le point de lancer une alerte générale lorsque surgit Catherine qui commence, comme je m’y attendais, par me traiter de tous les noms d’oiseaux. Elle était partie devant… Fin de l’enquête. Gabriel Lecouvreur, dit « Le Poulpe » en rigole encore et nous aussi.

Version n° 2 : Catherine.
En arrivant, je suis agréablement surprise par Comodoro, inondée de soleil ce matin-là. Cette ville au nom qui sonne comme une sauce italienne a des petits airs San Franciscains avec ses rues en pente qui descendent vers la mer. On y construirait des maisons chiliennes, toutes de bois peint, l’effet serait saisissant et garantirait à cette ville industrieuse une ouverture touristique. Mais je m’égare en imaginant une telle alliance, un peu comme j’ai rêvé, peu de temps, qu’Alfred me connaissait suffisamment pour savoir que je suivrais le plan que nous avions décidé ensemble à partir d’un de ses tests favoris. Et que je préfère toujours attendre dans un lieu agréable, en l’occurrence la place centrale qui s’offrait à la vue, juste devant nous, dans la direction choisie par nous deux. 
Une belle place avec de grands arbres dont un grand-père Eucalyptus qui sentait éperdument bon, des bancs confortables, de l’ombre et un petit vent discret. 
l'écorce du vieil eucalyptus en rigole encore
Et cerise sur le gâteau, la direction élue pointait direct vers l’océan. Tout un tas de raisons pour ne pas choisir de m’attendre dans le terminal de bus où nous n’avions plus rien à faire. Mais non, quelle idée a traversé Alfred qui a choisi de faire demi-tour et de m’attendre dans le terminal ? Mystère. Souvent pendant le voyage, je l’ai vu regarder dans tous les sens alors que je suis devant lui et que j’agite les bras mais non, il n’a décidemment pas un œil d’aigle à moins que ce soit moi qui ressemble à un être invisible. Bref après avoir lu 10 pages du pavé que je me trimbale depuis la Thaïlande (Marguerite Duras par Laure Adler, 1 kg pour 942 p, j’en finis pas, à la fois intéressant et hyper chiant mais bon, faut pas bouder son bouquin. La méthode asiatique, je laisse un bouquin j’en prend un, ne fait pas flores par ici). Je suis revenue au terminal, personne. 

Après la colère (bon dieu, il n’est pas foutu de suivre ce qu’on a dit) est montée l’angoisse, la peur, la panique suivies de ressaisissements qui se voulaient rationnels, d’appels au calme intérieur, d’exercices zen ou autres inspirations. Rebelote, la tête repart, seule en tête (jajaja), dans des hypothèses de plus en plus folles… Quelque part au fond de moi, je sais qu’il n’y a pas de quoi s’affoler, qu’il est certainement au terminal de bus et qu’on va se retrouver tout bientôt alors j’y retourne, rien et c’est reparti. La panique augmente, la colère aussi, la fatigue est là qui réclame un petit déj, un pieu, du repos… la statue de San Martin pointe son doigt vers moi, lui tirer la langue me détend. Vas-y, rigole, j’y retourne et je le vois sourire aux lèvres qui me lance « Alors te voilà ! » Je vous dis pas la bordée d’injures à la capitaine Haddock que je lui ai servi…

Retour au calme
Nous traînons nos sacs jusqu’à un hôtel hors de nos prix (310 pesos / 60€), nous étions prévenus par Forum Voyage et Juan carlos, se loger à Comodoro Rivadavia est cher : très peu de touristes et la majorité des clients est constituée d’employés des compagnies pétrolières. Internet annonce un seul hostel déjà complet et nous sommes trop nazes pour nous lancer dans des recherches.
En compensation, notre hôtel met à disposition une cuisine bien équipée et une salle à manger spacieuse. Nous y croisons deux Russes auxquels appartiennent probablement les deux énormes motos BMW tout terrain flambant neuves stationnées devant la porte. Nous choisissons de faire des courses et préparer nos repas. Luxe supplémentaire, à 17h00 la télé diffuse France-Brésil qui convient parfaitement à mon énergie du moment.
Que dire de plus, sinon que le centre ville en lui-même, sous le soleil et la chaleur, est tout à fait agréable avec son petit côté station balnéaire ? Ses palmiers, ses immeubles et bâtiments bien entretenus, pimpants et colorés, ses rues en pente et ses faux airs Californiens
Nous en repartons après une courte nuit pour atteindre Perito Moreno à près de six heures de route vers l’Ouest.

Et aux pensées flottantes
Pendant que les hommes tapent dans un ballon, je pense à mon personnage Angus Ferguson, fils d’estanciero, d’ascendance écossaise, spécialiste en brebis, avec qui mon héros allait dealer des litres de lait. Même si je ne l’ai pas décrit dans le roman, Angus était grand, blond, le teint laiteux, légèrement efflanqué, l’œil clair… En me promenant dans les rue, je le vois, il est vivant. La seule erreur est que j’ai oublié de lui donner un second nom de famille représentant la branche maternelle, comme il est de coutume ici. Le repos, l’ambiance tranquille et les blonds qui se baladent me redonnent du baume au cœur.

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