C'est par où le Pérou ?
À la sueur de l'asphalte
Un jour, il est temps de partir, alors nous avons repris du désert, nous avons posé nos pieds sur le plat bord du premier étage d’un bus et nous avons avalé de la route. De longues lignes droites, de larges courbes nous ont laissés rêveurs, somnolents, râleurs, spectateurs, bavards, lecteurs, gourmands, assoiffés… voyageurs… lassés, enlacés par tant de kilomètres à dos de goudron.
Cependant, malgré l’aridité, la monotonie, la bêtise du film censé nous distraire, nous saurons nous régaler de scènes fugaces, cocasses où des indiennes aux chapeaux fleuris viendront animer le bus de leurs rires discrets, préparant leurs danses autour d’un arbre, scrutant le ciel, appelant l’union de la terre et de l’eau.
Arrêt Kippa
Lentement nous glisserons vers la vieille ville coloniale d'Arequipa, bijou d’architecture, toute de pierres blanches vêtue, souvent recouvertes de couleurs vives où le bleu pastel se dispute avec le rouge sanguin et le jaune terre de Sienne.
Haut lieu de la foi catholique toute puissante, imposant ses dogmes à une population méfiante qui jamais ne comprendra pourquoi une religion qui prône la charité et l’amour peut condamner les sacrifices et vénérer un crucifié. Alors les Jésuites et autres ordres poseront en signe d’alliance une lune et un soleil sur la croix et le Christ n’y apparaîtra plus.
J’ai un bon souvenir de cette ville qui m’avait enchantée il y a vingt-cinq ans et j’y entraîne Alfred comme si je l’avais quittée hier. Je me souviens des rues, des arrières cours, des couleurs et des odeurs. Je caracole en tête puis m’écroule à nouveau devant une reprise de diarrhée pas piquée des vers. Du coup, je m’enferme, dolente et de mauvaise humeur, dans notre chambre d’hôtel aux normes de confort international sans âme mais avec TV5 en français et un buffet petit déjeuner qui me sert d’unique pitance pour la journée. Alfred en profite pour…, pour…, pour monter à cheval ! Hia !
Je lui laisse donc la plume afin qu’il célèbre l’événement tant attendu.
Anibal et Ricky Martin
Après Zingaro où monter à cheval était un (confortable) gagne-pain, j’ai longtemps préféré regarder les chevaux s’ébattre dans un pré plutôt que de leur imposer ma présence sur leur dos. La notion de cheval-loisir me hérissait le poil et j’ai toujours préféré celle d’équitation utile où l’homme et l’animal collaborent dans une action gagnant/gagnant : tu m’aides dans mon travail et je te fournis soins, foin et sécurité.
Alfred et Ricky Martin : Un, dos, tres ! |
Ce genre de rapport s’est fait rare dans nos contrées, si l’on excepte quelques spectacles, une poignée de gardians et de débardeurs forestiers. Bref, il faut aller loin pour trouver autre chose que des ronds dans des carrières ou du trimbale-touristes. En Mongolie, par exemple, ou bien dans la pampa…
C’est donc dans cet état d’esprit que j’ai rêvé de rencontrer des gauchos et partager leurs journées en triant les bêtes ou en réparant des clôtures.
Mais il y a loin de la croupe au rêve et les estancias, repaires de farouches cavaliers, restent inaccessibles à qui voyage en bus.
Les premiers temps, j’ai snobé les promenades qui proposaient des chevaux exténués et souvent maltraités ou que je trouvais trop chères. L’Argentine est passée et le Chili aussi où nous avons assisté en piétons à la jineteada. En Bolivie, la vie est bien trop dure sur les hauts plateaux, royaume des lamas et autres vigognes.
C’est en flânant autour de la cathédrale d’Arequipa que je remarquai les balades à cheval que proposaient les agences de tourisme. Je fus encouragé par la première qui pour 70 Soles offrait de venir me prendre à mon hôtel, me conduire jusqu’aux chevaux et me ramener après une promenade de 2h30 environ. Ne m’emballant pas pour autant, je prospectai d’autres officines pour finalement revenir à la première. Je pris rendez-vous pour le lendemain, 8h30 dans le hall de l’hôtel.
Anibal & Manolete |
J’attendais un mini-bus, arrive une vieille Toyota dont Anibal, le conducteur, s’avère être également le propriétaire des chevaux et mon guide.
Durant le trajet, il m’explique un peu l’histoire de cette ville où le niveau de richesse s’évalue en fonction de l’accès plus ou moins proche à l’eau du Rio Chili qui l’arrose. Il me conduit sur les hauteurs d’un quartier récent et gare sa voiture dans une rue, ouvre un portail et m’invite à entrer dans une petite cour bétonnée au fond de laquelle cohabitent des poules, des canards et des cochons d’Inde en cage. Derrière cette basse-cour, quatre chevaux occupent un minuscule paddock fermé. Deux d’entre eux portent une selle de randonnée.
J’enfile mes mini-chaps, ceux que je trimbale dans leur emballage depuis Toulouse sans jamais m’en être encore servi. Pendant qu’Anibal finit de passer un filet à nos montures. Les rênes sont en cuir brut tressé, presque rigides. Leur extrémité rebique vers le haut, ce qui change considérablement des habitudes de club. Nous sortons dans la rue et nous mettons en selle, lui sur Manolete, moi sur Ricky Martin et nous voilà partis.
Nous traversons des faubourgs, une grande avenue, des travaux de voirie ; il me montre une église dont les murs extérieurs sont couverts d’une pierre volcanique qui a enfermé des plantes fossilisées.
Nos petits chevaux locaux sont attentifs et pleins d’allant, contents de sortir. Lorsque nous les poussons un peu, ils adoptent immédiatement le paso peruano, ils basculent leur poids vers l’arrière, soulèvent l’avant main et moulinent rapidement des antérieurs dans une forme de trot. Il suffit de se caler dans sa selle et de se laisser porter dans cette allure hyper-confortable pour le cavalier. Un pur plaisir.
Anibal me conduit jusqu’à la rivière par une piste qui traverse la campagne. Nous croisons des maraîchers qui bichonnent leurs brocolis, des bergers qui surveillent mollement leur maigre troupeau de moutons.
Anibal est de ceux qui militent pour la préservation de cette zone verte et agricole que lorgnent les promoteurs. Nous mettons pied à terre au bord du rio. Les eaux sont hautes et la nature est belle. Nous discutons, il m’explique la vie ici, les vicissitudes des différents présidents, le nouveau développement économique. J’apprends que le Pérou, contrairement au Chili par exemple, a pris l’organisation administrative française comme exemple. “Nous sommes vos petits frères, nous avons 50 ans de retard mais nous vous observons afin de prendre ce qui fonctionne et éviter de reproduire vos erreurs”. Je suis heureux d’entre ces mots, moi qui crois que notre modèle occidental, celui que nous avons imposé au monde entier, est à bout de souffle et court droit dans le mur. Je suis intimement persuadé que notre responsabilité actuelle est de trouver la suite, un paradigme nouveau et il est bon de savoir que ces jeunes démocraties nous observent d’un regard critique, que notre exemple n’est pas suivi aveuglément.
Retroussons-nous les manches du cerveau et du cœur et tentons de ne pas les décevoir, il en va de notre avenir à tous. Amen :-) !
Ça mérite bien une seconde photo |
La rencontre avec Anibal est un vrai cadeau de la Vie. Il est dans la trentaine et il finit par m’apprendre qu’il est vétérinaire. Il a déjà compris que la multiplication des visites, si elles lui permettent de gagner de l’argent, se font au détriment de sa qualité de vie. Ses chevaux l’ont aidé à sortir d’une phase dépressive et il privilégie son activité touristique. Il a soif d’apprendre et se décrit comme un voleur qui s’approprie les connaissances des personnes qu’il croise. Il est friand de rencontres et l’ostéo animale comme la kinésio ouvrent chez lui d’immenses champs de questionnement.
Il me raconte son désir de voyager, sa première fiancée allemande qui réveilla sa violence et la suivante, une montpelliéraine, qui lui fit découvrir ce qu’est une femme avec de l’éducation et qui l’a dégrossi.
Il me parle de son grand-père, incapable de tuer un animal puis de son père, maquignon sanguinaire et de son taureau de combat “El Vengador”, par lequel viendra la rédemption.
Le temps passe aussi vite que l’eau du rio. Nous rentrons, heureux de ces instants partagés.
Je lui offre une bière chez un ami à lui, restaurateur, qui nous invite à un anis.
Anibal me raccompagne ensuite jusqu’à l’hôtel.
Si vous allez un jour à Arequipa, n’hésitez pas à vous faire le cadeau d’une matinée de trimbale touriste chez lui et saluez-le de ma part.
Anibal : (0051-54)345948 pa_enrique@hotmail.com
Anibal : (0051-54)345948 pa_enrique@hotmail.com
Péroucoulade
Mais pourquoi tant de luxe ? First parce que nous le valons bien ! et que nous attendons Marie-Andrée et Jean-Marc, nos amis toulousains qui arrivent avec leur parfum de violette et de cassoulet mais aussi La valse lente des tortues, de notre inestimable Ma’am Pancol, héroïne principale de notre feuilleton littéraire, des boules Quies, 10 exemplaires de Découvrez votre nature profonde avec la kinésiologie - L’onto-kinésiologie, d’Alfred Manuel, éd du Souffle d’Or et un foie gras madrilène ! De notre côté nous avons prévu le vin chilien, lou coutel argentin pour madame, le grigri bolivien protège voiture ;-) pour monsieur, les philtres d’amour sans filtre dénichés à Arica lors de nos recherches ésotériques… pour que leurs 25 ans de mariage en fassent 50.
Car ils sont là pour fêter dignement ce bel événement et vivre en direct une boutade lancée sans y penser devant un verre de champagne : “25 ans ! c’est pas le Pérou !” Hé bé si, ça l’est.
Hé, comment il va le petit ? |
Le rendez-vous est pris devant le couvent Santa Catalina que nous visiterons en bavassant comme des pies, en riant comme des fouaces, en nous régalant de ces instants volés à la morosité de certains jours. C’est bon ! De couloirs en ruelles, nous entrecouperons nos tranches de vie par des commentaires sur la vie des moniales, pas mal ce petit salon de musique ! dis donc, elles avaient toutes une cuisine particulière ? Nous surveillerons la taille de leur lit, nous interrogeant longuement devant un qui nous parait particulièrement large pour une bonne sœur en sainteté.
Ce couvent construit en 1579 accueillait les cadettes des riches familles espagnoles avec leurs serviteurs et leur dot. Selon les époques, ce couvent de recluses a eu diverses réputations. Certaines mauvaises langues parlèrent de bordel plutôt que de couvent mais pas question de mentionner cela dans l’enceinte, ici tout ne serait que luxe, sans luxure, calme sans volupté. Portant l’atmosphère et l’ambiance se prêtent à un romantisme échevelé et les murs rouge ou bleu pastel invitent à la poésie plus qu’à la prière… mais ce n’est pas à une farouche méfiante de l’église des hommes de digresser sur le sujet.
Le soir nous déambulerons loin des hôtels de luxe afin de dégoter une gargote, pas terrible mais bien populaire, nous souperons pas fin sans faim. Jean-Marc et Marie sont un peu sonnés par le décalage horaire, moi toujours chiasseuse et Alfred, en fier cavalier, envisage le repos de la bête avec foi et bonheur.
Après moultes hésitations, nous décidons de les suivre le lendemain dans le grand bus quasi-neuf mis à leur disposition pour la modique somme de 70€, je reconnais bien là le Pérou qui fier d’exhiber une corne d’abondance sur son blason, sait parfaitement traiter le touriste comme un billet sur pattes. Nous sommes 18 pour une quarantaine de places, nous y serons à l’aise et poursuivrons nos discussions gourmandes à un rythme bien plus soutenu que celui du bus et du guide réunis. Avec Marie, nous surnommerons nos hommes Carl et Sigmund pendant que nous jouerons les Janine et Josiane commentant Cosmo et Géo. Nous nous ébaudirons devant la beauté de l’Altiplano et monterons jusqu’au Titicaca en mâchonnant des feuilles de coca, tout en admirant les alpagas.
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