La petite enveloppe rouge


Nous étions le 16 octobre 2010 et pour fêter notre départ nous avions invité les copains
à partager une paella à midi.
À cette occasion, nous reçûmes quelques cadeaux et, emportés par notre succès, nous préparâmes une seconde paella pour le soir. Yves nous avait même concocté une chanson qu’il chanta avec Maril en s’accompagnant au piano. Bref, une belle fête, digne d’un beau départ.
Ce jour-là, Cathy et Gijs nous prirent à part pour nous remettre une petite enveloppe rouge sur laquelle était écrit “À ouvrir en cas d’urgence”. Après les remerciement d’usage et dans le feu de la fête, nous la fourrâmes au fond d’une poche et ce n’est que bien plus tard, les convives partis, que nous l’ouvrîmes pour découvrir à l’intérieur… deux billets verts de 50$ ! Aussi surpris par le montant que perplexes quant à son futur usage, nous rangeâmes précautionneusement  l’enveloppe rouge au précieux contenu.

Durant les neuf mois qui suivirent, nous pensâmes régulièrement à notre viatique américain sans jamais ressentir cette fameuse urgence pré-requise à son utilisation.
Nous hésitâmes parfois entre une nuitée dans un hôtel de luxe bolivien, un gueuleton au Chili, la location d’une voiture en Patagonie, l’achat d’un cadeau pour les généreux mécènes et plus si affinités mais rien à nos yeux ne justifiait de casser la tire-lire.
Comme vous le savez déjà, fidèles lecteurs, nos pas nous conduisirent au Brésil où nous rencontrâmes -entre autres-  Fabiana, Argentine exilée à Salvador de Bahia. Après notre départ, elle avait prévu d’aller visiter sa famille porteña et nous lui confiâmes un sac bourré d’objets, verroteries et autres bibelots encombrants glanés en chemin afin qu’elle nous en déleste et qu’elle le descende pour nous à Buenos Aires où nous le récupérerions avant de rentrer.



Heureux de notre idée et allégés d’un poids non négligeable, nous courûmes Rio, lézardâmes à Iguazu, bain-mariâmes aux thermes de Dayman puis décidâmes de descendre directement à Buenos-Aires pour y revoir Fabiana.
En cicérone hors pair, dès la première soirée elle nous conduisit au théâtre, nous faisant découvrir “Dolly Guzman no esta loca”. Le lendemain, nous étions invités à prendre le thé chez sa mère, délicieuse vieille dame qui venait de fêter ses quatre fois vingt ans. Ce fut pour nous l’occasion de rencontrer ses tantes, sœurs aînées de sa mère et nous eûmes même le privilège de découvrir le nouveau fiancé de l’une d’elles.
De thé, il fut peu question car à leur grand soulagement nous optâmes pour un maté, à la suite de quoi, les clans se formèrent entre les “dulces” et les “amargos”. Pour accompagner la boisson, la table fut couverte de petits gâteaux auxquels tout le monde fit honneur. À cette occasion, nous fîmes également connaissance de Cecilia, sœur de Fabiana qui nous invita à partager un asado le lendemain, chez elle.
Nous y découvrîmes Juan-José, son compagnon, champion toutes catégories de la grillade qui, sur la terrasse de leur triplex a installé une parrilla à faire verdir de jalousie une bonne partie des restaurateurs de la ville.
Chichulines, morcillas, pechugas, asado de tira, vacio, cordero, chorizos, rien ne manqua même si la fête fut gâchée par la défaite de “River” club mythique qui pour la première fois de son histoire, descend en deuxième division. Affreux ! L’événement provoquera des quasi émeutes dans les quartiers et fera la une des journaux durant des jours…


Heureusement, tout ne fut pas aussi triste puisque parmi les convives se trouvaient Maria-Paola et Juan-Carlos, la fille de Cecilia et son compagnon. Elle étudie l’ethno-musique, il est acteur de théâtre et ils ont moins de cinquante ans à eux deux.
Ils devinrent nos guides culturels, nous conduisant au concert de La Orquesta Tipica Fernando Fiero, fer de lance du tango porteño underground, nous régalant d’une pièce de théâtre digne des Monthy Python dont Juan-Carlos était l’un des talentueux acteurs et c’est avec eux que nous nous essayâmes au b.a. ba du tango dans une milonga qui nous laissa babas et béats d’admiration pour les trentenaires virevoltants qui envahirent la piste dès la fin de notre cours.

Maria-Paola et Juan-Carlos ont un projet  : un voyage d’études de neuf mois en Indonésie.
Maria-Paola et Juan-Carlos ont un  souci : ils n’ont pas bouclé leur budget…
Chaque jour nous suivrons l’évolution de leur histoire. Les anges sont farceurs : un petit boulot qui tombe par ci, un possible coup de pouce à leur dossier de demande de subventions par là. Mais Maria-Paola et Juan-Carlos ne sont pas du genre à rester les deux pieds dans la même espadrille alors ils ont projeté d’organiser une fête avec un bar payant dont les bénéfices iraient à l’achat de leurs billets.
Dommage, c’est pour le 15 au soir, le jour de notre départ.
De notre côté, nous avons récupéré nos affaires mais la question du poids des bagages se pose pour le retour. Christophe, notre ami pilote, nous a proposé de prendre en charge un sac mais tout va-t-il rentrer ? Et puis il y a l’ordi…



En préparant notre voyage, nous avons beaucoup hésité : nous laisserions-nous tenter par l’I-pad, cher et pas forcément adapté ? Opterions-nous pour deux note-books, légers mais trop Windows ? Finalement, nous avons choisi de partir, moi avec mon I-book G4 14”, lourd mais fiable et confortable, Catherine avec son I-book G3 12”, capricieux et antédiluvien. C’est sur ce dernier que j’ai écrit la première partie de mon roman, grâces lui soient rendues, surtout que lui, c’est l’âme qu’il a rendue… Juste après que j’aie mis un point final à mon chapitre 10, celui qui clôture la première partie. Dix jours avant le retour il s’est ouvert un matin puis il a commencé à neiger sur l’écran, puis plus rien. Heureusement, j’avais fait des sauvegardes !
Notre fidèle compagnon s’étant transformé en poids mort, il allait rester en Argentine et l’idée nous est venue de l’offrir aux tourtereaux comme un possible accessoire de théâtre.
Difficile de décrire leur réaction face à ce cadeau. “Vous n’imaginez pas la valeur inestimable que cet ordinateur représente pour nous !” disaient-ils, émus aux larmes. “Ce n’est qu’un objet sans valeur, absolument pas fiable” les tempérions-nous. “Jamais de la vie ! Nous avons un ami qui va nous le réparer, c’est extraordinaire
Comme quoi, il en faut parfois peu pour faire plaisir…
Surtout qu’une autre idée s’était fait jour dans nos esprits sur le départ. Aussitôt pensé, aussitôt réalisé, nous ajoutâmes à l’ordinateur la petite enveloppe rouge en racontant son histoire.
Nous parlâmes de notre fête de départ, du cadeau de Cathy et Gijs, de notre carence d’urgence, de l’enveloppe rouge toujours vierge et il nous semblait que notre viatique américain pouvait se transformer incontinent en viatique indonésien à l’attention de nos deux amis. L’enveloppe changea de mains et ses récipiendaires, de joie, en prirent la couleur.
Nous posâmes pourtant une condition, celle de recevoir régulièrement des nouvelles du voyage de neuf mois à Bali. Condition, on s’en doute, acceptée de grand cœur.
Pris de scrupules, nous posâmes une seconde condition, celle d’un échange et nous demandâmes à Maria-Paola et Juan-Carlos de nous graver une sélection de musique argentine à offrir à Cathy et Gijs, les généreux mécènes malgré eux.



Le 18 août 2011, nous avons eu le plaisir de raconter cette histoire au Fanfaron lors d’une soirée mémorable émaillée de rencontres et de bonnes nouvelles et à cette occasion, nous avons eu la joie de remettre une clé USB lestée de 2,56Go de tango, rap, rock et autres chansonnettes made in Argentina à Cathy et Gijs, nos hôtes ébahis, devenus sans s'en douter les parrains d’un voyage à Bali par la magie d’une petite enveloppe rouge.

PS : L’histoire de l’enveloppe rouge ne se termine pas ici, une longue vie lui est même  promise car Maria-Paola et Juan-Carlos l’ont assuré “Même si nous l’utilisons aujourd’hui, nous promettons de la garnir à nouveau et de l’offrir un jour à d’autres porteurs de projets de voyage !

(à suivre, donc… )


Et pour patienter, un peu de musique : Kevin Johansen - Logo - 2007




en attendant d'aller dîner  au Fanfaron


Commentaires

Marraine Céline a dit…
Merveilleux, l'enveloppe rouge est vraiment née sous une bonne étoile ;-! Merci

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