Santa Lucia – Chaitén

Santa Lucia
Villa seca, ambiance sympa

Spontanément, le petit groupe descendu du bus, au milieu de cet absolu nulle part, se lie et la mayonnaise prend.
Nous partons ensemble visiter les environs et l’épicerie. À vivre ensemble, autant partager et pourquoi pas un apéro ? C’était sans compter avec les joies de l’administration.
L’épicière désolée nous apprend que Sta Lucia est villa seca c’est-à-dire ville sèche, ce que la pluie incessante ne nous laissait pas prévoir. La vente de boissons alcoolisées dans un village est soumise à la présence d’un poste de carabineros. Sta Lucia est dotée depuis peu d’une petite brigade, il faut maintenant que les autorités civiles votent une autorisation de vente et cette localité dépend pour le moment de l’administration de Chaitén qui se fait tirer l’oreille.
Anna et Bram. Guillermo en arrière-plan
Qu’à cela ne tienne ! Anna et Bram nous proposent de partager un fond de vodka et nous votons l’achat de coca pour l’accompagner.
Pas de bol, l’épicière est en rupture de stock, c’est dire la misère… Nous optons pour une boisson au très vague goût de fruit et rentrons trinquer « chez nous ».
Ne nous plaignons pas, la patronne nous allume un bon feu dans le poêle et nous sert une soupe puis un plat de riz avec un œuf et une hamburguesa comme on appelle ici le steak haché. C’est simplement bon.


Zita, un savant mélange entre Laure et Nathalie
Zita, physiothérapeute de 34 ans partie pour 3 mois de voyage parle un espagnol tout à fait correct même si elle l’estime trop superficiel. Anna et Bram (diminutif d’Abraham), jeunes diplômés en sociologie et en Histoire ont choisi de commencer leurs 6 mois de voyage par quatre semaines d’espagnol intensif dans une école de Buenos Aires. Bram est imbattable sur les règles de grammaire. Guillermo, étudiant de 26 ans, en vacances dans son pays qu’il aime, nous a caché son jeu mais comprend et parle assez bien l’anglais. C’est l’une des rares fois où nous parlons en espagnol plutôt qu’en anglais avec des Allemands et des Hollandais, tant par désir de le pratiquer que par respect pour nos hôtes.

Cela donne parfois lieu à la naissance d’un idiome nouveau, fait d’un mélange improbable d’espagnol et d’anglais, pimenté de mots français, allemands ou hollandais et de néologismes internationaux nés de l’auto-alimentation de chacun. Le monde est en marche.
Notre long voyage du jour nous envoie au lit de bonne heure et nous nous donnons rendez-vous à 7h00 le lendemain pour le petit-déjeuner avant le bus de 8h00.

Impro

Au lever, une magnifique table nous attend : thé, café, beurre, confitures, salami, fromage, pain et beignets maison. Génial. Une fois encore, nous constatons la générosité de ceux qui ont peu et qui savent le partager.
À l’heure dite, nous sommes tous dehors pour attendre un bus qui n’arriva jamais. Renseignement pris, un avis de tempête aurait empêché l’arrivée du ferry donc, pas de ferry, pas de passager et pas de passager, pas de bus. Simple, non ?
Par contre, il devrait passer demain. Nous sommes samedi 12 février et nous sommes à 80 km environ de Chaitén d’où part notre bateau le 15. Anna et Bram ont leurs places pour le même ferry. Guillermo, lui, a un billet pour le ferry du 14 qui nous avait été annoncé complet. Zita n’a aucun billet et elle s’inquiète.
La perspective de passer une journée de repos forcé à Sta Lucia n’a rien de catastrophique. La question se pose pour Guillermo qui ne doit pas rater la correspondance bus-ferry au matin du 14.
En tant que régional de l’étape, il décide de prendre les choses en main et part aux renseignements. Pendant ce temps, nous nous installons et commandons du café. La patronne nous sert un nouveau petit-déjeuner complet auquel nous faisons honneur au fur et à mesure de l’avancée de la matinée.
À son retour, Guillermo nous annonce qu’un villageois propose d’emmener quatre personnes à Chaitén aujourd’hui dans sa voiture pour 80000 pesos soient 125€ environ. Zita est intéressée, nous laissons nos places. Anna et Bram hésitent…
Zita sort alors un flyer qui propose les services d’une agence de Chaitén.
Il s’agit de Nicolas dont m’avait déjà parlé Luis, le chauffeur de bus.
Guillermo fait diligence. Dans ce village perdu, il a un téléphone portable qui fonctionne ! Nicolas propose de venir nous chercher tous les six. Il nous propose même de faire un crochet par les termes d’Amarillo au retour, à la plus grande joie de tous, Catherine en tête. Il demande 50000 pesos, (75€ soit 12€ par personne) ce qui devient un tarif très raisonnable.
Comble du confort moderne, le téléphone portable de Guillermo peut se transformer en relais wifi, ce qui nous permet d’attendre Nicolas au chaud et connectés. Nous en profitons pour relever nos e-mails et échanger des amitiés de couchsurfers. Royal.

Les thermes d’Amarillo, 
à l’eau les gringos

Nicolas finit par arriver dans son minibus Hyunday, accompagné par ses deux fillettes d’une dizaine d’années. Elles ont profité du voyage pour venir acheter des glaces à Sta Lucia. Il n’y a pas d’électricité à Chaitén depuis que la ville a été engloutie sous les cendres du volcan. Il y a donc très peu de réfrigérateurs et encore moins de congélateurs. Donc pas de crèmes glacées et ça, en Amérique du Sud et en particulier en Patagonie, c’est grave.
Nicolas est un homme d’apparence frêle et timide, à la barbe grise. Il parle tout doucement avec un fort accent nord-américain. Il est originaire de l’Ouest du Canada.
Nous remarquons un charango accroché au dossier du siège passager. Voyant notre intérêt, il sort l’instrument de son étui et commence à en jouer sans façon et en virtuose, chantant presque en sourdine des airs du pays.
Durant le voyage, il converse avec Zita qui est à côté de lui. Depuis l’arrière nous n’entendons rien et nos questions sur la vie à Chaitén avant et après l’éruption restent en suspens.

Au « village » d’Amarillo, nous bifurquons pour emprunter une piste qui conduit vers les termes. Nous montons sur 5 ou 6 km pour trouver une maison devant laquelle flotte un drapeau chilien. Un petit kiosque, quelques installations de camping dont l’incontournable barbecue complètent le tableau. Le vent et une petite pluie froide nous font hésiter mais Guillermo nous encourage à descendre. Il est déjà venu et l’endroit vaut la peine.
Nous sommes surpris par l’affluence vu l’endroit perdu. La grande piscine à l’eau chaude et trouble est pleine de monde. Nous y croisons des familles chiliennes, bien sûr mais aussi des Argentins qui ont fait le déplacement et même un couple de Français, distants comme il se doit.
C’est curieux cette tendance que nous avons souvent nous Français, à ignorer nos compatriotes lorsque nous en croisons à l’étranger. Comme si leur présence rendait la nôtre moins originale ou bien qu’elle dépréciait les lieux. Il nous est beaucoup plus facile et évident d’entrer en contact avec des voyageurs d’autres provenances ou bien des gens du cru. Pour en avoir discuté avec d’autres, cette tendance ne se vérifie pas entre Hollandais, Espagnols ou Allemands. Bizarre.

Ceci ne nous empêche pas d’apprécier l’eau à température idéale qui, si elle ne soigne pas nos rhumatismes, réussit parfaitement à nous détendre et nous relaxer. Nous barbotons de conserve, essayons le bain de boue avec la délectation de sangliers vautrés dans leur soue. Il faut bien creuser sous les cendres grises pour trouver la boue noire qui adoucit la peau. Que du bonheur, surtout que la pluie a cessé.
En repartant, Nicolas nous gratifie d’un nouvel intermède musical auquel il tente de nous faire participer, sans grand succès avouons-le.

Encore 20 km de piste et voici enfin Chaitén. Au fond d’une baie entourée de montagnes, sur les rives d’un fleuve côtier, ce village de 7500 âmes avait tout pour prospérer. Des écoles, l’un des meilleurs lycées du pays, un accès à la mer et une desserte par ferry, l’eau, l’électricité, des rues et des routes… En 2008, sans aucun avertissement préalable, ce qui passait pour une banale montagnette à 5 km du village, même pas un volcan endormi, est entré en éruption, surprenant même les vulcanologues et noyant sous ses cendres le village à ses pieds, crachant sa fumée vers l’Argentine et allant jusqu’à détruire les cerisaies d’El Bolzon.

Chaitén
Le combat d’un volcan et d’un village


Alfred a écrit sans signe préalable… pas vraiment, notre hôtesse Nolfa nous apprendra le dernier jour que la terre n’avait pas cessé de péter, de craquer, de trembler pendant les 48 h précédant l’irruption. Mais on n’est pas à un tremblement de terre près dans cette région sismique, l’une des plus actives du monde. Bien sûr c’était inquiétant et surtout persistant, les animaux se calfeutraient, les hommes s’interrogeaient. Cette nuit-là, ils sont allés se coucher comme d’habitude quand soudain à 1h du matin, ça a fait boum. Le bouchon a sauté mais le cône a résisté, ouf sinon les conséquences auraient été pires.
L’ordre d’évacuation a eu lieu deux jours après quand le jour s’est confondu avec la nuit, quand tout est devenu gris, opaque, irrespirable. Les habitants croyaient s’éloigner de leur foyer quelques jours… Certains sont partis au bord de la crise de nerf, d’autres en hurlant « Chaitén c’est fini », d’autres encore sont partis comme on part en vacances, heureux de connaître enfin l’île voisine de Chiloé. 


Mais voilà, cet avorton d’à peine 900 m de haut, qui n’a même pas la forme d’un volcan, qui n’avait jamais fait parler de lui, a craché tout ce qu’il a pu comme cendres et continue aujourd’hui encore à éructer une colonne de vapeur blanche. Résultat, les maisons déstabilisées par les tremblements ont été en plus ensevelies sous des mètres de cendres.


La rivière n’a plus reconnu son lit et s’est mise à couler n’importe comment, charriant bois, maisons arrachées, frigidaires, matelas, charpentes, menaçant à son tour de détruire ce qui restait du village. Une nouvelle terre s’est créée grâce à toute la cendre qui s’est accumulée dans la baie maintenant gratifiée d’une immense plage grise. Peut-on parler de gratification et de plage pour cette immensité minérale recouverte de pierres ponce, de roches aux couleurs du volcan : noir, terre de sienne, rouge, vert, gris, blanc… Peu de sable mais un étrange mélange de cendre, de minéraux, de bois flottés, de ferrailles en voie de minéralisation et de restes en tout genre. On n’a pas vu de trace de squelettes d’animaux, ils ont dû être pudiquement enlevés ou déjà confondus avec le reste.
Bientôt trois ans, un seul mort, une mamie terrassée par l’émotion, je veux dire une crise cardiaque. Trois ans et le phœnix désire renaître, seulement, y’a la politique, des hommes et des hommes politiques, des hommes scientifiques, des spécialistes en tout genre et des habitants, vous l’aurez compris la dernière roue du carrosse.
Alors voilà, on a décidé pour eux. On les a bien traités. Le gouvernement a proposé de racheter les maisons détruites. On les a accueillis un peu partout dans la région, certains ont retrouvé du travail même si, avec le temps, les natifs leur ont reproché d’être venu leur voler leur pain. On leur a offert une nouvelle maison à Puerto Montt, « Faut pas qu’ils se plaignent, non mais ! », ils ont été dédommagés. Ils l’aiment beaucoup la Bachelet, elle a été super… pas comme ce « payaso » de nouveau président, ce connard qui a supprimé toutes les aides le jour même de son élection. Vous l’aurez deviné, il n’est pas aimé.

Alors voilà, on a décidé pour eux, on leur a dit : « Vous pouvez pas revenir, on sait jamais, ça pourrait recommencer, le volcan, la rivière, son lit… On vous propose un nouveau village à 40 km de là, on le finance et tout et tout. »
Les villageois ne sont pas d’accord et répondent : « On est entouré de volcans, on n’a jamais imaginé que celui-là existait ou pouvait entrer en éruption, alors pourquoi ne pas financer la reconstruction de notre ville, notre coin de terre à nous ? » « Niet, ont répondu les autorités dans un premier temps » « Rien à foutre, en ont conclu les habitants » « Bon, on va voir » « C’est tout vu, on y retourne, ont clamé une poignée d’irréductibles » « À suivre, ont tempéré les autorités, allez-y, montrez ce dont vous êtes capables. »
On en est là, ils sont 6 ou 700 à être revenus petit à petit depuis un an et ils bagarrent pour faire revivre leur ville.
À l’intendant de la région qui, la larme à l’œil et la main sur le cœur, demandait à emporter une bouteille contenant des cendres de Chaitén, ils promirent sous les huées d’en livrer deux camions devant sa maison s’il s’avisait de revenir.
Grande victoire malgré tout, le lycée rouvre ses portes à la rentrée de mars et l’électricité revient dans les rues ces jours-ci. Le moment est crucial.

À notre arrivée, profitant d’une éclaircie, Nicolas nous montre le coupable, une innocente montagne au fond d’une vallée. Il nous conduit ensuite sur le front de mer à un hospedaje ouvert qu’il nous annonce à 7000 pesos la nuit. Dès l’entrée, j’ai l’impression de déranger la mamie qui nous ouvre. Elle annonce sèchement n’avoir que deux chambres à 8000. Après un moment de flottement, nous décidons de refuser l’offre. Je signale à Nicolas l’augmentation de tarif et il me conseille de marchander. J’y retourne pour me faire envoyer sur les roses par le papy.

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Nous revoilà dans le minibus, demandant à Nicolas s’il a une alternative. Il sort son téléphone et appelle. C’est OK, il a trouvé et nous conduit sur le haut du village. Un immense cyprès à double fût garde les lieux. Derrière un bâtiment en bois délabré, une petite maison neuve nous accueille. C’est celle de Nofla.
Elle a été l’une des premières à revenir, il y a un an déjà. Elle vit seule avec son fils ado, près de chez son frère. Sa maison était presque finie au moment de l’éruption. Aujourd’hui, avec l’aide de son frère, elle est terminée depuis trois mois à peine, c’était son objectif. Le suivant, était de trouver un moyen de subsistance. Évidemment, les emplois ne courent pas les rues, même si elle a un diplôme d’informatique, sans électricité, ça fonctionne moins bien. Un soir, alors qu’elle était au bord du désespoir, on sonne à sa porte. Deux français, perdus, lui demandent de bien vouloir les héberger. 
Elle accepte et depuis, sa maison ne désemplit pas et ses trois chambres sont occupées. Lorsqu’elle a du monde, elle va loger chez son frère. Elle nettoie, prépare les petits-déjeuners, fait du pain dans sa cuisinière à bois.
Elle nous accueille avec le sourire et nous demande 7500 pesos par personne. L’une des chambres n’a qu’un lit pas très large mais Bram et Anna s’en accommodent parfaitement. Nous nous installons et partons faire des courses à l’épicerie plus bas. Tout le monde partage ce qu’il a et il en ressort un plat de pâtes, classique et bienvenu.
Le repas à peine terminé, Nicolas frappe à la porte. Quelques mois auparavant, il est tombé du toit de son minibus, endommageant son épaule et malgré une opération, il est n’en a pas totalement récupéré l’usage. Il a accepté avec joie et reconnaissance de recevoir une séance conjointe de Zita et Alfred. Nous travaillons sous le regard fasciné de Guillermo qui découvre la kinésiologie.

















   

Commentaires

chantal calle a dit…
super ça fait rêver moi qui prend le boulot demain et pas très enchantée de cela. votre plume se délie bien, et on vous sent rayonnant !
biz
Chantal
degré chien a dit…
10 mois off alors ?

C'est quoi ce février qui se reproduit identic à lui-même ?
C'est pasqu'il mesure 4x7 jours et que les mêmes causes produisant les mêmes effets le(s) con(s) fond(ent) ?
Ou bien votre stage est passé d'un mois, dommage...

Bon sinon, la dernière blague à la mode ici dans le LOt :
Gaz de schiste... Il vous fera regretter l'énergie nucléaire !

Pourquoi n'en pas parler à nos amis nippons ?

Des bises internet-actives,

Degré Chien.
Ben ouais, nous sommes super à la bourre…
Et puis pas envie de nous speeder,
Pas maso-schistes

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