Tango sauvage


Le 152 descend Santa Fé vers 9 de Mayo. Il se remplit doucement au fur et à mesure des arrêts. Montés au début, nous voyageons assis. Je guette une éventuelle mamie à qui céder ma place mais ne montent que des hommes ou bien des jeunes.
Soudain, à ma gauche, un éclat de voix. Une jeune femme en colère vitupère et houspille un vieil homme penaud. Que s’est-il passé ? Nous n’en saurons rien.

Elle est brune, bien faite, je lui donne une trentaine d’années. Raide d’indignation elle se dirige vers le chauffeur et le prévient tout haut qu’elle n’a aucune intention de faire la manche puis, se tournant vers son public de voyageurs, elle prend la pose, plantée sur sa jambe droite, la gauche légèrement fléchie, la pointe du pied gauche délicatement posée au sol et se met à chanter. Un tango, bien sûr, qui dénonce la lâcheté des hommes vis-à-vis des femmes.
D’une voix tendue par l’outrage et la revendication, les yeux perdus dans les étoiles, elle enchaîne les couplets jusqu’à un final incertain salué par les applaudissements des passagers. Elle n’a pas bien chanté mais elle a chanté avec tripes et boyaux. Elle reprend sa place près de nous, elle semble libérée. Puis juste avant de descendre, avec un art consommé, elle reprend le refrain tout en s’éloignant sans se retourner, raide et fière. Dans le bus, chacun semble reparti dans ses pensées.



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